Publié par Jay Delachance on dimanche, janvier 17, 2010
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Auteur : Lella Tonazzini

Les mystifications en littérature, tromper ou se tromper soi-même ?
Qu'est-ce qui lie Alexandre Dumas père, Molière, Boris Vian et Romain Gary ? Le fait qu'ils ont tous été accusés de supercherie littéraire. Retour sur ces cas singuliers.

« La qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'œuvre est divulguée », récite l’article L113-1 du Code de la Propriété Intellectuelle de 1992. Et lorsque les « preuves contraires » viennent insinuer le doute sur l’identité de l’auteur ? Tel a été le cas de bien des écrivains, dont certains ont fait l’objet de véritables « cas ».

Si celui de Romain Gary demeure le plus éclatant, le soupçon d’authenticité a touché aussi Shakespeare, Molière et Corneille. Philippe di Folco, dans son ouvrage Les grandes impostures littéraires : canulars, escroqueries, supercheries, et autres mystifications, (Écriture, 2006) a récolté un bon nombre de cas. À se demander si le lecteur ne serait fasciné précisément par cette incertitude. Et si, au fond, tout écrivain ne serait pas aussi un personnage qu’il a lui-même créé.

Alexandre Dumas père, le « nègre négrier »

Qui ne connaît pas l’auteur de Les Trois Mousquetaires et du Comte de Monte-Cristo ? Auguste Maquet a eu beau revendiquer la paternité de dix-neuf romans et adaptations signés Alexandre Dumas père, il ne sera pas plus connu par le public. Quant à Dumas, invité par un arrêt de 1851 à mieux payer ses collaborateurs (qui étaient au nombre de quarante et un), il fut un véritable maître de l’« art » de créer en série des livres à succès. Documentalistes et rédacteurs, ses « nègres » se lamentaient sur un traitement économique peu…équitable. La redoutable machine de l’industrie culturelle venait de voir le jour…

Corneille, alias Jean-Baptiste Poquelin ?

Oser insinuer que Corneille, et non pas Molière, serait l’auteur de Tartuffe ! Parole de Dominique Labbé, lexicologue, qui, en 2001, effectuant une comparaison « scientifique » du vocabulaire employé par les deux dramaturges, en arrive à attribuer nombre d’œuvres de Molière à Corneille. Après quelques moments de gloire dans la presse (Le Point, Le Monde, le New York Times), plusieurs experts, dont Pierre Lafon, directeur de recherche au CNRS, remettent en cause la fiabilité de la méthode Labbé. La Comédie Française n’aura pas perdu la face.

Boris Vian, lorsque le jeu tourne mal

Membre du « Collège de Pataphysique », faisant de la démystification littéraire l’un de ses principes, Boris Vian signe plusieurs romans sulfureux sous le nom de Vernon Sullivan. Malgré ses tentatives pour faire croire à l’existence de ce romancier américain, la supercherie est vite dévoilée. Accusé de violence et de pornographie, surtout pour son roman J’irai cracher sur vos tombes, il est littéralement persécuté par le Cartel d’action sociale et morale. Vian et son pseudonyme ne faisant qu’un, le malheur de l’un entraînera le malheur de l’autre..

Romain Gary en quête de liberté

Romain Gary, alias Fosco Sinibaldi, Shatan Bogat, Emile Ajar…voilà les « enfants » nés de la plume de Roman Kacew. On connaît l’histoire. Gary publie quatre livres sous le pseudonyme d’Emile Ajar : La vie devant soi obtient le prix Goncourt en 1975, lorsque Gary avait déjà remporté le même prix avec Les racines du ciel. L’écrivain va même plus loin, en prêtant un visage à son pseudonyme, celui du cousin Paul Pavlovitch. Malgré les soupçons, pendant huit ans la mystification ne sera pas dévoilée. Ce sera Pavlovitch qui le fera lui-même, dans L’homme que l’on croyait, publié après la mort de Gary.

Etre un, être mille

Qui est-ce qui se cache derrière ces impostures littéraires ? Des éditeurs friands de scandales, ou des écrivains sulfureux qui, prêtant leurs écrits à quelqu’un d’autre, se dégageraient de toute responsabilité personnelle ? À chacun de juger. Il est certain que, jouant sur la limite subtile entre vie et fiction, vérité et mensonge, ces écrivains s’appuient sur le voyeurisme du lecteur. Scandalisé, ce même lecteur n’aura pas moins joué le jeu de l’ambiguïté…

Les écrivains aux plusieurs visages ont peut-être quelque chose en commun : le rêve, impossible et tragique, de sortir de soi, de devenir un autre, ou, mieux, tous les autres. Jorge Luis Borges, le maître aux identités multiples, commentait ainsi sa propension : « Je suis dieu, je suis héros, je suis philosophe, je suis démon, et je suis monde, ce qui est une manière fulgurante de dire que je ne suis pas » (L’Aleph, Gallimard, 1967). Romain Gary, Boris Vian, Fernando Pessoa auront été ses compagnons de voyage.

Pour aller plus loin :
  • Philippe Di Folco, Les grandes impostures littéraires : canulars, escroqueries, supercheries, et autres mystifications, Écriture, 2006
Apollinaire a-t-il endossé la paternité de manuscrits qui n'étaient pas de lui ? Corneille a-t-il écrit certaines comédies de Molière ? Comment le journal d'Adolf Hitler, un faux grossier, a-t-il pu abuser la presse internationale ? Qui est vraiment Jack-Alain Léger ? Les Mémoires de Napoléon ont-ils été trafiqués ? Les pièces de Shakespeare sont-elles l'œuvre d'un autre qui s'appelait également Shakespeare ?

D'Alphonse Allais au Da Vinci Code, en passant par B. Traven, Rimbaud, James Frey, J. T. LeRoy ou Wilkomirski, la littérature, art du faux-semblant, est indissociable du mensonge, du canular, du dédoublement... Et si chacun se souvient du cas " Gary-Ajar ", il en est d'autres moins connus, tout aussi surprenants, voire machiavéliques. Fabuleuses, pitoyables, drôles ou tragiques, ce livre rassemble une centaine de ces " affaires " de manipulations, de supercheries ou de trafics de mots en tous genres. Un abécédaire mondial de l'imposture qui donne le vertige L'écrivain novice trouvera en prime un " Petit guide à l'usage des futurs imposteurs " qui lui offrira, non sans humour, toutes les recettes pour fabriquer une œuvre aussi brillante que factice.

Journaliste culturel et écrivain, Philippe Di Folco est l'auteur, notamment, de Citizen Data (Sens & Tonka, 2001) et du roman Salva (Denoël, 2006). Il a dirigé le premier Dictionnaire de la pornographie (PUF, 2005).
  • Jean-François Jeandillou, Esthétique de la mystification : tactique et stratégie littéraires, Les Editions de Minuit, 1994
  • Paul Pavlovitch, L’homme que l’on croyait, Fayard, 1981

Publié par Jay Delachance on jeudi, décembre 04, 2008
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Avec le succès du World Poker Tour, le nombre de sites proposant des parties s'est multiplié, pour atteindre le nombre incroyable d'environ 500 000 aujourd'hui. Un succès qui aiguise les appétits des arnaqueurs : un réseau de pirates vient d'être mis au jour, comme le dévoile une enquête commune du magazine américain 60 minutes et du quotidien The Washington Post (voir la vidéo en bas de l'article).

Il s'agit du plus grand scandale révélé dans l'histoire du jeu en ligne, avec plus de vingt millions de dollars détournés par un petit groupe. Il serait passé inaperçu, sans l'action de joueurs qui ont mené l'enquête après avoir constaté des incohérences lors de parties.

Des joueurs trop mauvais pour être chanceux

Les parties reposent sur la confiance, souligne Todd Witteles, professionnel du poker : « Vous ne voyez pas les autres joueurs, ni les cartes distribuées, si bien qu'il est impossible de contrôler l'authenticité de la partie. » Pour jouer, rien de plus simple : il suffit de se créer un compte sur un site en saisissant le numéro de sa carte bancaire.
Le pot aux roses n'aurait jamais été découvert si un joueur ne s'était particulièrement illustré par sa réussite surprenante lors d'une partie de Texas Hold 'Em sur le site Absolute Poker.

« Ce joueur - Grey Cat - jouait mal, semblant prêt à jeter son argent par la fenêtre. Sauf qu'il ne perdait pas. Il jouait d'une manière qui aurait dû lui assurer l'échec, mais, à l'inverse, il parvenait à augmenter ses gains inéluctablement », explique Todd Witteles.

En parallèle, d'autres joueurs ont remarqué une succession de mains étrangement heureuses sur une partie en cours sur un autre site - Ultimate Bet -, appartenant au même groupe qu'Absolute Poker. Un certain « Nio Nio » a ainsi gagné 70 000 dollars face à un joueur pourtant talentueux, David Paredes, et jusqu'à 210 000 dollars face à d'autres.

Serge Ravitch, avocat passionné de poker, a commencé à utiliser un logiciel baptisé Poker Tracker, qui permet d'étudier des milliers de mains enregistrées lors de parties. « Ce que j'ai vu dépassait l'entendement. Ce compte gagnait bien trop d'argent étant donné son style de jeu, et avec de très mauvaises mains. Quand un joueur bluffait, il annonçait tapis systématiquement. Si un autre possédait une bonne main, ou une main déjà formée, il suivait toujours. »

« C'était comme s'il était dans le dos de chaque adversaire »

C'était comme s'il connaissait les cartes de chacun, résume-t-il. « Si vous connaissez le jeu des adversaires, même en étant le pire joueur de poker au monde face au meilleur, vous pouvez le battre. »

Rapidement, les responsables des sites sites Absolute Poker et Ultimate Bet ont été submergés de questions. Voyant qu'ils ne répondaient pas, la communauté de joueurs en ligne a démarré sa propre enquête. « Nous savions qu'il y avait de la triche, mais pas qui était responsable », indique Todd Witteles. L'explication la plus plausible était le piratage, en interne ou externe, d'un compte administrateur d'Absolute Poker et d'Ultimate Bet, permettant de voir toutes les cartes en main, en temps réel.

Une piste confirmée en consultant l'historique intégral des parties d'Absolute Poker, envoyé par erreur à l'un des joueurs enquêteurs qui demandait les mains d'une personne suspectée : 65 000 lignes de données sur tableur Excel mettant en évidence le tricheur parmi des joueurs aux taux de gains et pertes plus plausibles. Détail majeur : le tableur Excel contenait les comptes utilisateurs et adresses IP, ce qui a permis de remonter à l'ordinateur d'un salarié d'Absolute Poker.

La société éditrice protège son ex-salarié pirate

La société a dû reconnaître le piratage et la triche de cette personne, un de ses ex-employés. Mais elle n'a déposé aucune plainte, préférant conclure un pacte avec l'intéressé : lui promettre de protéger son identité et de ne rien intenter, en échange de ses méthodes.

Avec l'aide des joueurs, un enquêteur a formellement établi que l'arnaque durait depuis quatre ans chez Ultimate Bet, donnant le nom du principal acteur : un ancien champion des World Series of Poker, Russ Hamilton.

Avec cinq acolytes, il a utilisé plusieurs pseudonymes et comptes, et a amassé plus de vingt millions de dollars. En toute impunité pour l'instant. La société Absolut Poker est établie au Costa Rica et ses serveurs, comme ceux d'autres sites de poker, se trouvent au Canada, dans un territoire amérindien échappant à toute législation.

Des serveurs délocalisés, des sociétés intouchables

Cette affaire met en exergue l'impuissance des législations nationales sur ce type d'activité en ligne. Aux États-Unis, le poker en ligne est illégal, mais la justice n'a aucune prise sur les sites dont les serveurs sont basés à l'étranger.

Les personnes ayant dénoncé l'escroquerie sont prêtes à collaborer pour toute action en justice. D'autant, préviennent-elles, que d'autres sites de poker en ligne sont peut-être l'objet d'arnaques similaires. La tribu indienne héberge 60% des serveurs de l'ensemble des sociétés de jeux en ligne.

En France, aucune société ne peut proposer des jeux de poker en ligne, très populaires dans le pays. Cette activité reste le monopole de la Française des jeux et du PMU, mais une libéralisation est prévue courant 2009, sous la pression de la Commission européenne.