Publié par Jay Delachance on jeudi, décembre 04, 2008
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Avec le succès du World Poker Tour, le nombre de sites proposant des parties s'est multiplié, pour atteindre le nombre incroyable d'environ 500 000 aujourd'hui. Un succès qui aiguise les appétits des arnaqueurs : un réseau de pirates vient d'être mis au jour, comme le dévoile une enquête commune du magazine américain 60 minutes et du quotidien The Washington Post (voir la vidéo en bas de l'article).

Il s'agit du plus grand scandale révélé dans l'histoire du jeu en ligne, avec plus de vingt millions de dollars détournés par un petit groupe. Il serait passé inaperçu, sans l'action de joueurs qui ont mené l'enquête après avoir constaté des incohérences lors de parties.

Des joueurs trop mauvais pour être chanceux

Les parties reposent sur la confiance, souligne Todd Witteles, professionnel du poker : « Vous ne voyez pas les autres joueurs, ni les cartes distribuées, si bien qu'il est impossible de contrôler l'authenticité de la partie. » Pour jouer, rien de plus simple : il suffit de se créer un compte sur un site en saisissant le numéro de sa carte bancaire.
Le pot aux roses n'aurait jamais été découvert si un joueur ne s'était particulièrement illustré par sa réussite surprenante lors d'une partie de Texas Hold 'Em sur le site Absolute Poker.

« Ce joueur - Grey Cat - jouait mal, semblant prêt à jeter son argent par la fenêtre. Sauf qu'il ne perdait pas. Il jouait d'une manière qui aurait dû lui assurer l'échec, mais, à l'inverse, il parvenait à augmenter ses gains inéluctablement », explique Todd Witteles.

En parallèle, d'autres joueurs ont remarqué une succession de mains étrangement heureuses sur une partie en cours sur un autre site - Ultimate Bet -, appartenant au même groupe qu'Absolute Poker. Un certain « Nio Nio » a ainsi gagné 70 000 dollars face à un joueur pourtant talentueux, David Paredes, et jusqu'à 210 000 dollars face à d'autres.

Serge Ravitch, avocat passionné de poker, a commencé à utiliser un logiciel baptisé Poker Tracker, qui permet d'étudier des milliers de mains enregistrées lors de parties. « Ce que j'ai vu dépassait l'entendement. Ce compte gagnait bien trop d'argent étant donné son style de jeu, et avec de très mauvaises mains. Quand un joueur bluffait, il annonçait tapis systématiquement. Si un autre possédait une bonne main, ou une main déjà formée, il suivait toujours. »

« C'était comme s'il était dans le dos de chaque adversaire »

C'était comme s'il connaissait les cartes de chacun, résume-t-il. « Si vous connaissez le jeu des adversaires, même en étant le pire joueur de poker au monde face au meilleur, vous pouvez le battre. »

Rapidement, les responsables des sites sites Absolute Poker et Ultimate Bet ont été submergés de questions. Voyant qu'ils ne répondaient pas, la communauté de joueurs en ligne a démarré sa propre enquête. « Nous savions qu'il y avait de la triche, mais pas qui était responsable », indique Todd Witteles. L'explication la plus plausible était le piratage, en interne ou externe, d'un compte administrateur d'Absolute Poker et d'Ultimate Bet, permettant de voir toutes les cartes en main, en temps réel.

Une piste confirmée en consultant l'historique intégral des parties d'Absolute Poker, envoyé par erreur à l'un des joueurs enquêteurs qui demandait les mains d'une personne suspectée : 65 000 lignes de données sur tableur Excel mettant en évidence le tricheur parmi des joueurs aux taux de gains et pertes plus plausibles. Détail majeur : le tableur Excel contenait les comptes utilisateurs et adresses IP, ce qui a permis de remonter à l'ordinateur d'un salarié d'Absolute Poker.

La société éditrice protège son ex-salarié pirate

La société a dû reconnaître le piratage et la triche de cette personne, un de ses ex-employés. Mais elle n'a déposé aucune plainte, préférant conclure un pacte avec l'intéressé : lui promettre de protéger son identité et de ne rien intenter, en échange de ses méthodes.

Avec l'aide des joueurs, un enquêteur a formellement établi que l'arnaque durait depuis quatre ans chez Ultimate Bet, donnant le nom du principal acteur : un ancien champion des World Series of Poker, Russ Hamilton.

Avec cinq acolytes, il a utilisé plusieurs pseudonymes et comptes, et a amassé plus de vingt millions de dollars. En toute impunité pour l'instant. La société Absolut Poker est établie au Costa Rica et ses serveurs, comme ceux d'autres sites de poker, se trouvent au Canada, dans un territoire amérindien échappant à toute législation.

Des serveurs délocalisés, des sociétés intouchables

Cette affaire met en exergue l'impuissance des législations nationales sur ce type d'activité en ligne. Aux États-Unis, le poker en ligne est illégal, mais la justice n'a aucune prise sur les sites dont les serveurs sont basés à l'étranger.

Les personnes ayant dénoncé l'escroquerie sont prêtes à collaborer pour toute action en justice. D'autant, préviennent-elles, que d'autres sites de poker en ligne sont peut-être l'objet d'arnaques similaires. La tribu indienne héberge 60% des serveurs de l'ensemble des sociétés de jeux en ligne.

En France, aucune société ne peut proposer des jeux de poker en ligne, très populaires dans le pays. Cette activité reste le monopole de la Française des jeux et du PMU, mais une libéralisation est prévue courant 2009, sous la pression de la Commission européenne.